Les atemi waza constituent un aspect souvent méconnu du judo moderne. Bien qu’absentes des compétitions sportives actuelles, ces techniques de frappe font partie intégrante de l’héritage martial du judo et continuent d’être enseignées dans le cadre de l’autodéfense et des kata traditionnels. Cet article explore l’histoire, la classification et l’application des atemi waza dans le judo, ainsi que leur évolution jusqu’à nos jours.
Table des matières
1. Origines et Fondements Historiques des Atemi Waza
Les atemi waza (当て身技) trouvent leur origine dans les divers styles anciens de jujutsu japonais, qui furent intégrés dans le judo par son fondateur, Jigorō Kanō, lors de la création de cette discipline en 1882. Après une étude approfondie des arts martiaux traditionnels, Kanō a incorporé ces techniques de frappe—accompagnées de blocages et de parades défensives (uke waza)—afin de conserver l’aspect pratique et l’efficacité martiale de son art.
Le développement des techniques d’atemi est étroitement lié à l’évolution du jujutsu. À l’ère Sengoku, les samouraïs, privés parfois de leurs armes, avaient besoin de moyens de combat à mains nues. Dans ce contexte, les frappes, bien que limitées par la présence d’armures, constituaient des techniques complémentaires, qui, par la suite, ont enrichi le répertoire du judo.
2.La Vision de Kanō sur les Atemi
3. Classification et Répertoire des Atemi Waza
Pour faciliter leur apprentissage et leur utilisation, les atemi waza ont été codifiées en deux grandes catégories, selon les membres mobilisés :
1. Ude-Ate Waza (Techniques de frappe avec les bras)
Ces 17 techniques utilisent différentes parties des membres supérieurs. Elles peuvent être exécutées avec :
-
Le coude (Hiji-ate)
Exemple : Ushiro-ate, coup porté sur l’arrière. -
Le tranchant de la main (Tegatana-ate)
Exemple : Kirioroshi, un coup descendant en tranchant. -
Le poing fermé (Kobushi-ate)
Exemples : Tsukiage (uppercut), Tsukkake (coup de poing direct). -
Les doigts
Pour des frappes plus précises.
Parmi ces techniques, on trouve notamment :
- Empi-uchi (coup de coude)
- Kami-ate (coup vers le haut)
- Naname-ate (coup croisé frontal)
2. Ashi-Ate Waza (Techniques de frappe avec les jambes)
Ces 6 techniques utilisent les membres inférieurs :
Le talon (Kakato-ate)
Utilisé dans Ushiro-geri (coup de pied arrière) et Yoko-geri (coup de pied latéral).La plante du pied (Sekito-ate)
Exemples : Mae-geri (coup de pied frontal), Naname-geri (coup de pied oblique), Taka-geri (coup de pied frontal haut).Le genou (Hiza-gashira-ate)
Exemple : Mae-ate (coup de genou de face).
Pour une vue synthétique, voici un tableau récapitulatif :
Catégorie | Sous-catégorie | Exemples de techniques |
---|---|---|
Ude-Ate Waza (Bras) | Coude (Hiji-ate) | Empi-uchi, Ushiro-ate |
Tranchant de la main | Kirioroshi | |
Poing fermé (Kobushi-ate) | Tsukiage (uppercut), Tsukkake | |
Doigts | Techniques précises | |
Ashi-Ate Waza (Jambes) | Talon (Kakato-ate) | Ushiro-geri, Yoko-geri |
Plante du pied (Sekito-ate) | Mae-geri, Naname-geri, Taka-geri | |
Genou (Hiza-gashira-ate) | Mae-ate |
4. Relation entre Atemi-Waza et Nage-Waza
Selon Kenji Tomiki, expert en judo et aikido,
“l’atemi-waza (technique de frappe) est, en principe, une extension du nage-waza (technique de projection).”
Cette vision met en lumière la complémentarité fondamentale entre ces deux aspects techniques du judo. En effet, les atemi waza ne servent pas uniquement à frapper l’adversaire, mais jouent aussi un rôle stratégique en créant des ouvertures pour faciliter l’application des projections.
Le tableau ci-dessous résume leurs différences et complémentarités :
Critère | Atemi Waza (techniques de frappe) | Nage Waza (techniques de projection) |
---|---|---|
Objectif principal | Déséquilibrer, perturber, attaquer | Projeter, contrôler, neutraliser |
Type de contact | Impact rapide, frappes précises | Prise de contact, déséquilibre |
Utilisation principale | Self-défense, kata, ouverture tactique | Compétition, kata, combat debout |
Lien entre les deux | Peut préparer une projection en créant une ouverture | Peut être facilité par une frappe initiale |

5. Rôles Tactiques des Atemi Waza
Dans la pratique, les atemi waza remplissent plusieurs fonctions essentielles :
- Préparer une projection en forçant une ouverture.
- Déstabiliser l’adversaire en brisant son équilibre (kuzushi).
- Provoquer une réaction instinctive, comme un recul de la tête, rendant l’adversaire vulnérable.
- Désorienter un attaquant en situation d’autodéfense.
- Finaliser une séquence technique en combinant une frappe et un contrôle.
Même si une frappe ne touche pas entièrement sa cible, elle peut suffire à perturber l’adversaire et modifier son centre de gravité, facilitant ainsi l’exécution d’une projection.
6. Évolution Moderne et Renaissance des Atemi dans le Judo
Bien que les atemi waza aient été délaissées dans le cadre des compétitions modernes—où l’accent est mis principalement sur les projections (nage waza) et les techniques de contrôle au sol (katame waza)—elles ont connu un regain d’intérêt à partir des années 1970, notamment en France.
Bernard Pariset, fort d’une brillante carrière de compétiteur, constata que beaucoup recherchaient des méthodes d’autodéfense plus complètes. Pour répondre à cette demande, il décida d’associer le terme « atemi » à celui de « ju-jitsu », marquant ainsi la redécouverte de ces techniques oubliées. Ainsi naquit la méthode “Atemi ju-jitsu”, qui combine self-défense, activité physique et mentale, tout en étant accessible à tous, sans visée compétitive.
7. Principes Techniques et Applications Pratiques
Dans le cadre de l’autodéfense, les atemi waza constituent des outils précieux. Certaines frappes ciblant des zones vitales (plexus solaire, tempes, dessous du nez, yeux, parties génitales ou sous le menton) peuvent rapidement neutraliser un adversaire.
Ces techniques, souvent utilisées pour briser l’équilibre ou la détermination d’un assaillant, trouvent également leur place dans l’aikido. Par exemple, une frappe feinte au visage peut inciter l’adversaire à reculer instinctivement, modifiant ainsi son centre de gravité et ouvrant la voie à une projection ou à une clé articulaire décisive.
Points à retenir
Les atemi waza représentent un héritage précieux du judo traditionnel. Même si elles sont moins visibles dans le judo sportif contemporain, elles continuent d’être enseignées dans le cadre de l’autodéfense et des kata. Leur étude approfondie révèle la richesse et la complexité du judo en tant qu’art martial complet, dépassant largement le cadre strictement sportif.
La renaissance de ces techniques, notamment à travers la méthode “Atemi ju-jitsu” lancée dans les années 1970, témoigne de leur pertinence dans l’autodéfense moderne. Maîtriser les atemi waza permet ainsi d’accéder à une dimension supplémentaire du judo, fidèle à la vision originelle de Jigorō Kanō : préserver le caractère martial de l’art tout en le faisant évoluer vers une voie d’éducation physique et morale.
Alexandra TAILLEUX

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